Les prémices du sport en Bresse : le tir à l'oiseau à Pont-de-Veyle

Publié le par Association Suchet, armée des Alpes

La Compagnie de l’Arcangelé de Pont-de-Veyle

1780 – 1811

par Jérôme Croyet

docteur en histoire, archiviste adjoint aux A.D. de l’Ain

 

 

« Sous l'Ancien Régime, le jeu est l'objet d'une véritable passion »[1]. Cette passion est dirigée vers les jeux de forces « par les médecins qui découvrent alors la valeur des exercices physiques ».

 

S’est chargé du souvenir cuisant des défaites françaises face aux archers anglais, déjà « longtemps exercés a manier l’arc et l’arbalettes… [au sein] des compagnies »[2], que « l’élite de l’age mur et de la jeunesse »[3] de Pont-de-Veyle décide de former une compagnie dans le but d’exercer « la force et l’adresse…par des jeux publiques qui amusent et se disposent aux combats sérieux » sous l’œil du « beau sexe naturellement curieux, amateur des spectacles attiré par la pompe et l’éclat des jeux », préfigurant un sport masculinisant. En effet, la pratique de jeux physiques est liée à l’affirmation de la masculinité avec des normes communautaires, différentes de celles du village voisin. Toutefois, ce jeu, physique voir viril[4], tend presque vers le sport, car il est uniformisé dans des règles établies et intangibles, oblige ses membres à sortir pour affronter les autres[5] dans un temps qui n’est pas celui de l’église.

 

La compagnie tient sa première séance le 15 mai 1780 en déclarant la société de Loye, adepte de l’arbalète, jugée moins dangereuse que l’arc, sous le nom de Arcangelé. Elle regroupe 13 habitants de Pont-de-Veyle. Elle institue le suffrage, permettant à ses membres d’appréhender et de comprendre la démocratie[6] car « les officiers n’auront point de distinction n’ayant d’autre prééminence que le suffrage de leur camarade qui doit plus les flatter que les marques extérieures ». Si le principe démocratique est bien établi, et confirmé en 1782, avec des « délibérations [qui] passerons à la pluralité des suffrages » ; le capitaine reste celui qui décide et dicte les arrêté, en forme d’exécutif. La qualité de chevalier se perd en cas de refus de faire le service de la compagnie durant deux ans à moins de cas d’absence légitime. A partir du 1er mai 1782, les membres non présents lors de l’assemblée annuelle devront payer une amende de 20 sols. La compagnie se veut élitiste, car si presque tout ses membres savent signer, elle ne recrute que très peu sur cooptation : 14 membres sont admis au cours de six séances entre 1780 et 1784[7].

La compagnie a pour but de tirer un oiseau perché autant de fois qu’il en sera décidé en assemblée tenue le 1er mai. Le tir de l’oiseau est attribué par partie : la tête, l’aile droite, l’aile gauche, le corps et le reste du corps, celui qui descend la dernière partie de l’oiseau est couronné de fleurs et proclamé Roy. C’est lui qui présentera l’oiseau l’année suivante.

Même si elle a vocation a un jeu, elle n’en reste pas moins une activité guerrière, elle se dote donc d’un uniforme « de drap vert de saxe fait en frac doublé de voille blanc avec reverd, parement et collet blanc bouton d’argent sur lesquelles il y aura un arc angelé. Veste et culotte blanche chapeaux unis cocarde blance ; il y aura a l’habit une épaulette et une eguilete en fil blanc tramé de verd » avec une épée.

La compagnie modifie sont règlement le 1er mai 1782. Il instaure un peu plus de discipline parmi les membres, en punissant l’absentéisme mais aussi les écarts de langage : les chevaliers qui jureront le nom de Dieu devront s’acquitter d’une amende de 10 sols et la conduite envers les autres chevaliers. Rapidement, la compagnie prend en compte l’aspect physique de sa pratique en imposant à ses membres un âge minimum pour la pratique de leur loisir, 21 ans âge d’une maturité physique adulte. Elle impose aussi une ligne de conduite de ses membres notamment en matière d’alcool et d’excès, qu’elle bannis pour l’usage de son jeu. Ces mesures ne sont pas prises à la légère et pour y avoir manqué, un des membres est exclu le 3 juillet 1786. L’esprit de groupe et de cohésion est renforcé par l’usage d’un dîner entre chevaliers qui apparaît entre 1782 et 1786. De 1780 à 1788, la compagnie se réunie 31 fois. Ses réunions tombent en désuétudes à partir de 1785 et disparaissent dès 1789.

La compagnie réouvre le 5 thermidor an V avec 10 nouveaux membres. De cette résurgence du jeu, aucun des anciens compagnons ne sont présents et des nouveaux aucun n’ont été activistes révolutionnaires. Afin de se donner une filiation morale avec la compagnie d’Ancien Régime, 10 des anciens chevaliers sont admis le jour même, ainsi 11 autres nouveaux membres dont 4 qui ont été activiste révolutionnaire.

Le 1er thermidor an XI, subissant les effets de la politique nationale, la compagnie décide que les chevaliers auront le droit de faire admettre leurs fils, après une enquête morale. De même, elle se militarise sévèrement[8] et le démontre lors de la cérémonie du tir d’oiseau du 26 thermidor an XI et dans les suivantes jusqu’en l’an XIII « la compagnie assemblée…tambour battant, drapeaux volant…c’est transportée aux lieu et place ordinaire…de là nous avons été au son des fanfares, chez le citoyen maire qui été conduit chez le citoyen Tardy membre du Corps Législatif que nous avons conduit sur le pas aux sons de la musique guerrière et daprès les civilités d’usage, il a été offert par le commandant de la compagnie une arme au citoyen maire qui a tiré le coup d’honneur », cette militarisation est renforcée par l’adoption d’un uniforme « habit vert de pré, parements, revers blancs, passepoil vert, collet vert passepoil blanc, revers pointu, poches de l’habit en long garnis de boutons blanc avec une arc angelé ». Gilet blanc, culotte courte en nankin, bas blanc, chapeau à trois cornes, ganse blanche avec un plumet vert et blanc et une épée.

Si le dernier tir a lieu le 3 juillet 1810, elle continue d’exister un an encore puisqu’elle compte 17 membres en 1811, dont le commandant qui est un ancien officier des volontaires.

 

 



[1] VIGARELLO (Georges) : Le sport est-il encore un jeu ? http://www.scienceshumaines.com/index.php?lg=fr&id_article=4311

[2] Registre de la compagnie de l’arcangelé de Pont-de-Veyle, A.D. Ain 106J 4.

[3] Registre de la compagnie de l’arcangelé de Pont-de-Veyle, A.D. Ain 106J 4.

[4] Pour le tir du 4 juillet 1808, la compagnie va jusqu’à chercher « les demoiselles qui devaient couronner le roi » et les escorter au pas de tir.

[5] Le tir n’a pas toujours lieu à Pont-de-Veyle, vers 1782, une séance de tir a lieu à Châtillon-sur-Chalaronne.

[6] 12 des membres - chevaliers seront des activistes révolutionnaires locaux.

[7] 7 membres sont admis le 31 mai 1780. 3 nouveaux membres admis le 26 février 1781. 1 nouveau membre le 3 novembre 1782. 1 nouveau membre le 13 avril 1783. 1 nouveau membre le 18 décembre 1783. 1 nouveau membre le 12 mars 1784.

[8] La compagnie se dote d’un tambour le 3 juin 1811.

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